- MACCHIAIOLI (LES)
- MACCHIAIOLI (LES)MACCHIAIOLI LESLorsqu’en 1862 un critique italien baptisa par dérision certains peintres du nom de macchiaioli (tachistes), il ne faisait que reprendre le mot de macchia déjà employé par eux, et sanctionner la recherche, qui s’était concrétisée dans le milieu florentin vers 1858-1860, d’une vérité directe traduite en un langage pictural synthétique, par juxtaposition de masses claires et de masses sombres. Méprisés des officiels et de la majorité du public, éclipsés au XXe siècle par la gloire des impressionnistes, les macchiaioli ont eu du moins la chance de rencontrer, au sein même du groupe, des hommes capables de formuler la théorie et l’histoire du mouvement: les peintres Signorini et Cecióni, le critique Diego Martelli; en 1975-1976, une grande exposition, présentée à Munich puis à Florence, leur a rendu pleinement justice.On peut assez bien cerner les origines, depuis 1850, d’un mouvement que son caractère consciemment expérimental insère dans le positivisme. Avant tout, il est d’esprit révolutionnaire; la plupart des macchiaioli participèrent aux luttes du Risorgimento et pour eux la liberté de l’art était inséparable de la liberté politique. En découlent le rejet de l’Académie, des aspects littéraires du romantisme attardé, l’accueil à certains ferments apportés d’Italie du Nord ou de Naples par des artistes souvent émigrés, enfin le choix de sujets en accord avec leur sincérité — l’humble réalité quotidienne, des thèmes patriotiques traités sans emphase, et surtout le paysage toscan, fragment plutôt que veduta . Un autre facteur aida les jeunes peintres à se définir: les interminables discussions au café Michelangelo. Mais c’est surtout grâce à Serafino De Tivoli, au retour de l’Exposition universelle de Paris en 1855, et aux futurs macchiaioli qui visitèrent la collection Demidoff en 1856 que les paysages de Barbizon furent connus.Pourtant, surestimer le rôle de cette étincelle étrangère serait méconnaître les signes avant-coureurs de la première phase de la macchia, qui s’achèvera vers 1861. Dès 1853-1854, De Tivoli (1826-1892), Telemaco Signorini (1835-1901), Odoardo Borrani (1833-1905), Vincenzo Cabianca (1827-1902), puis en 1856 Signorini à Venise, peignaient en plein air. De Tivoli conserve vers 1858 certains schémas et la gamme sombre des romantiques français, mais la simplicité de l’éclairage, la touche rapide, justifient son surnom de «père de la macchia». De 1858 datent les premiers essais véritablement «macchiaioli» de Signorini en Ligurie; il s’agit de contrastes violents de taches noires et de zones claires, impressions immédiates d’ombre et de lumière, et non de la touche arbitrairement fragmentée qui animait déjà les esquisses de tableaux d’histoire. À ses côtés travaillent Cristiano Banti (1824-1904) et surtout Cabianca, adepte intransigeant. À la même époque, en 1859-1860, Giovanni Fattori (1825-1908), le plus doué et le plus indépendant, brosse d’après les campements français établis près de Florence des études analogues, mais dont l’outrance est vite corrigée par l’articulation des rapports de tons en une mosaïque vibrante qui définit formes et distances; de même vers 1860-1861 dans les tableautins ingénus de Vito D’Ancona (1825-1884), de Raffaello Sernesi (1838-1866; Toits au soleil , Galleria nazionale d’arte moderna, Rome), enfin de Giuseppe Abbati (1836-1868), plus sévère, formé aux jeux de lumière grâce aux intérieurs d’église qu’il peignait. L’arrivée à Florence en 1859 du paysagiste romain Nino Costa (1826-1893) détermine en partie la rapide évolution qui permit aux macchiaioli d’exprimer leur propre monde poétique: ses notations lumineuses subtiles tempèrent leur fougue.De 1862 à 1868 environ, les macchiaioli se regroupent, les séjours en commun dans quelques villages de Toscane assurent l’homogénéité d’une interprétation plus aérée du paysage. À cette époque, intervient la personnalité de Silvestro Lega (1826-1895); converti en 1861 à la macchia, il en donne des exemples orthodoxes, mais il préférera enserrer dans le contour linéaire hérité de sa formation «puriste» des scènes domestiques d’une sentimentalité qui reste étrangère aux autres macchiaioli, de même que les tons sobres et la prédominance de la figure sur le paysage (La Pergola , pinacoteca di Brera, Milan). Cette douceur imprègne cependant les paysages de l’école de Piagentina, localité située entre l’Arno et l’Affrico, où la présence de Lega attire à partir de 1862 Signorini, puis Abbati, Borrani et Sernesi. Si les trois derniers éclaircissent leur palette sans renoncer à la netteté des premières expériences de macchia, le versatile Signorini perd en vigueur ce qu’il gagne en délicatesse, amenuisant la touche sous l’influence des Daubigny et des Corot vus à Paris. Mais c’est à Castiglioncello, où Martelli les reçoit dans sa villa, que la rencontre entre l’idéal des macchiaioli et la vie archaïque des champs — un paysage ensoleillé aux lignes simples, et ils accentuent les horizontales par le format allongé de leurs minuscules panneaux — favorisa les réussites les plus authentiques, surtout entre 1864 et 1868. Au contact de Borrani, Abbati exalte le coloris, amincit la matière picturale en laissant paraître les veines du bois. Outre des artistes épisodiques (ainsi Boldini dans sa brève phase macchiaiola ), l’école de Castiglioncello compte encore Fattori à partir de 1867: là, comme à Livourne où il séjourne depuis 1861, peignant aussi des tableaux agrestes d’un classicisme élégiaque, il privilégie l’instantané, rendu tantôt par touches frémissantes, tantôt en un cloisonnement chromatique précis (La Rotonde Palmieri , galleria d’Arte moderna, Florence).La fermeture du café Michelangelo, la mort de Sernesi et d’Abbati, le désenchantement politique, les voyages à l’étranger entraînent la désagrégation du mouvement: chaque artiste poursuit sa voie, mais plus orientée vers l’analyse sociale. On sent des échos du naturalisme français dans les tableaux de genre de Banti, d’Ancona, de Borrani, avec, chez Signorini, soit des accents véristes, soit une complaisance narrative également éloignés des Millet ou des Manet qu’il admirait à Paris, tandis que la luminosité impressionniste inonde ses paysages de 1870-1885. Même le solitaire Lega accuse superficiellement ces influences: l’intimisme virant à la description, une technique impressionniste jusque dans la touche fougueuse des dernières, pathétiques, années. En butte aux difficultés, réfractaire à tout regard sur l’étranger, Fattori traduit son amertume en visions de plus en plus désolées et monumentales de la Maremme, trop énergiquement dessinées.D’où vient que ce mouvement original et précoce — certaines trouvailles de Sernesi, d’Ancona, de Fattori vers 1860 évoquent, dans l’agencement plat des couleurs, les premières œuvres nabies de Vuillard — ait au fond tourné court? Le refus de la culture, qui fut la force des macchiaioli, devint aussi leur limite: animés d’intentions analogues à celles de l’impressionnisme, ils ne surent pas le comprendre; méprisant l’émiettement des formes, ils manquèrent aussi, préférant se replier en un provincialisme austère, l’ouverture sur le monde dont l’impressionnisme était porteur. Ils ont en effet rarement réussi à faire passer dans les grands tableaux leur ferveur révolutionnaire, à la fois esthétique et politique. Néanmoins, par sa fraîcheur, la peinture des macchiaioli apparaît aujourd’hui comme un aspect poétique et cohérent du naturalisme européen.
Encyclopédie Universelle. 2012.